#1 -ˏˋ🚲 🔎ˎˊ- Qui touche quoi (en théorie) sur l'achat d'un vélo neuf ?
Ceci est un article pilot, un test, une tentative, une expérimentation... pour essayer de concevoir un nouveau média d'enquête dédié à la culture cyclable.
Les marges dans l’industrie du vélo, c’est un peu comme les recettes de grand-mère : tout le monde en a une, mais personne ne la partage vraiment. Heureusement, plusieurs acteurs de cet écosystème ont accepté de lever le voile et de partager leurs chiffres avec moi.
Alors, quand vous achetez un vélo à 500 ou 2 000 euros chez votre vélociste préféré, où va vraiment votre argent ? Qui empoche quoi ?
Spoiler : tout le monde prend sa part… et c’est bien normal.
D’où vient cette idée ?
En regardant Qui veut être mon associé ? sur M6, j’ai été frappé par la transparence avec laquelle les entrepreneurs exposent leurs marges devant les investisseurs et accessoirement devant des millions de téléspectateurs. Y compris, probablement, leurs concurrents directs, confortablement installés sur leur canapé.
Et pourtant, en France, le débat sur la répartition des marges fait surtout rage dans l’agroalimentaire. Le lait, par exemple, déclenche régulièrement des polémiques : combien touche l’agriculteur ? L’industriel ? La grande distribution ?
Ces deux actualités m’ont donné envie de creuser le sujet dans le secteur du vélo, et plus spécifiquement sur l’achat d’un vélo en magasin.
Par ailleurs, la chute d’Angell Bike a déclenché une avalanche de commentaires sur les réseaux sociaux, beaucoup pointant du doigt les marges supposées excessives des marques et des magasins. Plutôt que de me fier aux rumeurs, j’ai voulu vérifier par moi-même comment se répartissait réellement le prix d’un vélo.
À ma connaissance, ce sujet reste encore peu traité, et les premiers concernés ne crient pas sur les toits leurs taux de marge. Pourtant, après avoir interrogé plusieurs experts du secteur – et essuyé finalement assez peu de refus – j’ai pu reconstituer une répartition qui colle à la réalité… avec, forcément, une petite marge d’erreur.
Un choix méthodologique
Il y avait deux manières de vous présenter le sujet :
Partir du prix de base d’un vélo sorti d’usine, puis y ajouter, étape par étape, les marges appliquées par chaque acteur de la chaîne de valeur :
marque > distributeur > magasin > consommateur…
Une approche intéressante pour comprendre comment un vélo à 150€ en sortie d’usine se retrouve affiché à 500€ en magasin.
Partir du prix final payé en magasin, et retracer la répartition des marges en sens inverse :
Consommateur > Magasin > Distributeur > Marque…
J’ai privilégié cette seconde option, car elle parle directement au consommateur que je suis. Elle démarre au moment précis où il valide les quatre chiffres de sa carte bleue chez son vélociste.
Plutôt que de donner une moyenne unique, j’ai choisi de présenter des fourchettes pour chaque marge. Chaque magasin, distributeur et marque font leurs propres choix économiques, ce qui entraîne des variations parfois significatives. L’idée ici n’est pas d’établir une vérité absolue, mais de partager des données macro, illustratives et les plus vraisemblables possibles.
500 ou 2 000 euro TTC le vélo neuf en France
Pour que cette analyse reste digeste, je vous propose de nous baser sur les moyennes de prix des vélos vendus en France ces dernières années. J’ai arrondi les chiffres pour simplifier la démonstration.
Un vélo classique coûte environ 500 € TTC et un vélo à assistance électrique (VAE) autour des 2 000 € TTC.
La répartition des marges suit globalement la même logique, seuls les montants changent. Voyons maintenant qui touche quoi sur ces prix.
À chacun sa marge
L’État en premier : 20% directs
Sur un vélo vendu en magasin, l’État prélève 20% de TVA.
Sur un vélo à 500 €, ça représente 83 € et pour un autre à 2 000 €, ça représente 333 €.
Le magasin : entre 25 et 35% sauf que…
Le vélociste applique généralement une marge comprise entre 25 et 35%. Mais entre la théorie et la réalité, il y a un monde. Car cette marge ne prend pas en compte :
Les éventuelles promos en cours d’année, parfois imposées par les marques,
Les frais de transports
Les coûts de stockage (un vélo qui dort en boutique, c’est du capital immobilisé),
Le service offert aux clients (réglages, conseils, essais, mise en route, frais de port, des temps d’assemblage/réglage, SAV…)
En appliquant tous ces facteurs, la marge peut fondre à 10 ou 15% d'après quelques témoignages récoltés auprès de magasins indépendants, notamment chez ceux en difficultés économiques.
Donc un détaillant, en bonne santé financière, réalisera une marge moyenne de 25 à 35% sur un vélo neuf. Pour un vélo à 500 €, ça représente entre 125 et 175 €. Pour un VAE à 2 000 €, entre 500 et 700 €.
La marque : 12 à 20%
Si une marque gère elle-même l’assemblage et la logistique, elle peut capter une marge plus élevée, souvent autour de 15%. Mais toutes ne possèdent pas d’usine ou d’infrastructure logistique propre. Lorsqu’elles sous-traitent une partie de ces opérations (assemblage, distribution), leur marge descend généralement à 10%.
Au-delà de ces choix industriels, la marge de la marque dépend aussi fortement de la localisation de la production et de l’assemblage. La main-d’œuvre en Asie étant bien moins coûteuse qu’en France, cela influence directement le prix d’achat des vélos. Mais même au sein de l’Europe, les écarts sont notables : entre le Portugal, la France, la République tchèque, la Bulgarie ou la Pologne, les coûts de fabrication et d’assemblage varient considérablement, impactant à la fois les marges des marques et celles des détaillants.
Donc une marque touchera en moyenne entre 60 et 100 € sur un vélo à 500 €, et entre 240 et 400 € sur un VAE à 2000 €.
Pour les marques vendant directement aux consommateurs via leur site internet, les marges sont supérieures.
Les intermédiaires commerciaux : 5 à 15%
Quand une marque n’a pas de structure commerciale propre dans un pays, elle fait appel à un agent commercial, un grossiste ou un distributeur. Ces intermédiaires peuvent représenter des marques étrangères, en assurant l’importation et la distribution, mais aussi des marques nationales qui externalisent leur force de vente et leur logistique.
Leur rôle ne se limite pas à un simple maillon administratif. Ils gèrent les relations avec les magasins, organisent le réseau de distribution, s’occupent du stockage et du transport, et parfois même du marketing. Pour cette prestation, ils prélèvent généralement entre 3 et 8%.
Ainsi, un agent commercial touchera en moyenne entre 25 et 75 € sur un vélo à 500 €, et entre 100 et 300 € sur un VAE à 2 000 €.
Production, assemblage et transport… : 25 à 40%
Ce qui reste à la fin, c’est ce qui permet de fabriquer le vélo, d’assembler ses composants et de le faire voyager jusqu’au magasin. Ces coûts varient beaucoup selon le volume et le lieu de fabrication. Ils peuvent inclure :
Les matières premières (cadre, roues, moteur, batterie, peinture…),
L’assemblage en usine ou dans un atelier dédié,
Le transport et la logistique, qui peut faire grimper la facture en fonction des crises mondiales, des droits de douanes et du prix du fret maritime ou routier.
Faute de données suffisamment précises pour distinguer clairement les marges entre la production, l’assemblage et la logistique, j’ai choisi de les regrouper dans une seule catégorie. Cependant, il est important de noter que les coûts de production représentent à eux seuls au moins 80% de cette catégorie.
Donc tous les acteurs concernés par cette dernière étape se partageront en moyenne à peu près 125 € à 200 € sur un vélo à 500€, et entre 500 € à 800 €, pour un VAE à 2 000 €.
On récapitule

Comment lire ce tableau ?
Comprendre la répartition des marges dans l’industrie du vélo n’est pas intuitif, car il ne s’agit pas d’un simple découpage fixe, mais plutôt d’un système de vases communicants.
Vous remarquerez qu’il est difficile d’additionner toutes les marges et d’arriver précisément à 100 %. La répartition des marges varie fortement en fonction du modèle économique de chaque marque.
Prenons un exemple : si une marque affiche une marge plus élevée, c’est souvent parce qu’elle gère elle-même l’assemblage et la commercialisation, supprimant ainsi certains intermédiaires comme les agents commerciaux, les distributeurs ou les usines d’assemblage tierces. À l’inverse, une marque qui externalise ces étapes aura une marge plus faible, mais cette différence sera absorbée ailleurs dans la chaîne (chez le distributeur ou l’agent commercial).
Si l’on cherchait à fixer une moyenne unique, on tomberait souvent sur un total dépassant 100 % ou sur un chiffre qui ne reflète pas la diversité des modèles économiques existants. Ce tableau est donc à voir comme un système dynamique, où chaque acteur ajuste ses marges en fonction de son rôle et de sa place dans la chaîne de valeur.
En résumé, chaque vélo vendu suit une équation qui lui est propre, et ces fourchettes de marges permettent d’en mieux comprendre la logique sans la figer artificiellement.
Mais si vous voulez vraiment une moyenne en voici une, pour un vélo à 500 euros, avec toutes les limites énoncées à l’instant.
Une chaîne sans gagnant ?
Au final, acheter un vélo, c’est financer une chaîne d’acteurs où chacun tente de tirer son épingle du jeu et ainsi financer son activité, payer les salaires, accompagner sa croissance, investir dans de la recherche et le développement… et parfois, verser des dividendes.
Mais ce modèle théorique se heurte à une réalité bien plus brutale : la crise actuelle du marché du cycle. Une crise aux multiples causes et conséquences, dont je vous parlerai en détail dans le prochain article. J’aborderai toutes les raisons qui font fondre le taux de marge des magasins, et les solutions qui émergent.
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#2 -ˏˋ🚲 🔎ˎˊ- Économie du vélo, un modèle sous tension
Vous lisez le deuxième article d’une série de publication sur l’économie du vélo. Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous recommande de lire le premier avant de poursuivre cette lecture.
Bravo pour cette enquête ! Très intéressant. 2 questions que je me pose : on voit une ventilation moyenne mais quid des extrêmes : est ce que la structure de marge de Décathlon est identique à celle d’un détaillant de centre ville indépendant ? Et est-ce qu’elle varie suivant qu’on parle d’un vélo premier prix importé d’Asie ou d’un vélo haut de gamme fabriqué en France ? Bref des sujets à creuser sur les prochaines « enquêtes » ?
Lerry,
Il faut partir du HT pour les calculs de marge de tous les professionnels du cycle sinon on compte autant de fois en trop la part de l'Etat qui est déjà bien trop présent et pesant !
En dehors de cela, merci pour toutes ces contributions hebdomadaires.